La Revue Politique et Parlementaire était partenaire de la rencontre internationale ayant pour thème “Les plastiques dans l’océan Indien”, co-organisée par le GID et la COI, qui s’est tenue cette semaine à Madagascar. A cette occasion, Mme Christine Razanamahasoa, présidente de l’Assemblée nationale malgache, a accordé un entretien à Arnaud Benedetti.
Revue Politique et Parlementaire – Vous êtes à mi-mandat de cette législature ? Quel premier bilan en tirez-vous ? Quels sont les points positifs et négatifs ? Et quels sont vos grands chantiers à venir ?
Christine Razanamahasoa – Effectivement, nous sommes maintenant à mi-mandat de notre législature, le moment est particulièrement propice de dresser un bilan. Notre première préoccupation au début de la législature était de réhabiliter les différentes infrastructures qui étaient dans un état lamentable, de vastes travaux de rénovation ont été effectués notamment au niveau des peintures, des installations sanitaires, du Centre d’accueil des députés, de certains bureaux et de la salle des Séances. Nous venons de terminer, juste avant l’ouverture de la présente Session ordinaire, tous les travaux de carrelage du Palais.
Nous avons également commencé la législature par des profondes modifications de notre Règlement intérieur pour qu’il soit mieux adapté à la Constitution de la Quatrième République et au contexte actuel.
C’est ainsi que la Commission d’Evaluation des Politiques Publiques est créée avec sa compétence transversale. Une sous-Commission de contrôle et de suivi est également établie auprès de chaque Commission permanente en vue d’assurer le suivi, l’effectivité, l’efficacité et l’efficience des textes ou motions adoptés aussi bien au niveau de chaque Commission Permanente qu’au niveau de l’Assemblée plénière. L’effectif minimal des membres composant un groupe parlementaire a été revu à la hausse pour éviter le vagabondage politique. Ceci a bien atteint le résultat escompté car jusqu’à présent aucun groupe n’est confronté à des dissidences manifestes.
En termes d’image démocratique, nous avons réussi à répartir équitablement tous les postes de responsabilités entre les différents groupes parlementaires à savoir l’IRD, le GPR et le TIM. Un Député membre de l’opposition siège au sein du Bureau Permanent de l’Assemblée nationale. Des postes de Président de Commission sont confiés à des membres de l’opposition et à ceux du groupe parlementaire qui se dit centriste à l’image du Groupe Parlementaire Républicain.
Nous nous efforçons d’appliquer dans leur esprit et lettre les dispositions constitutionnelles, légales et réglementaires relatives aux travaux parlementaires.
Dans la précédente législature, le rapport d’exécution du programme du Gouvernement prévu à l’article 101 de la Constitution se déroulait à la va-vite en une seule matinée ; actuellement chaque Ministère devrait défiler durant la première session de mai, présenter en détail ses activités de l’année écoulée à commencer par celles du Premier Ministre, Chef du Gouvernement.
Sur le plan législatif : 75 lois sont examinées et votées dont 67 Projets de loi et 8 Propositions de loi ; 13 Résolutions adoptées dont la plupart sont inhérentes à la création des Commissions d’enquête parlementaire ; 2 076 questions ont été posées par les Députés aux membres du Gouvernement depuis 2019.
Dans le domaine des relations publiques, on peut dire que nous sommes en phase des technologies de l’information et des télécommunications avec la réorganisation de l’architecture de notre site web comprenant des nouveaux menus de navigation en vue d’améliorer la transparence des travaux parlementaires. L’ordre du jour y est publié en temps réel. Il en est de même pour l’état d’avancement des travaux de commission, les différentes activités de la Présidence de l’Assemblée nationale et de certains organes comme les Commissions permanentes, l’administration, etc….
Nous avons également notre page Facebook qui nous permet d’échanger avec une partie de la population. Le bulletin d’information et d’analyse de l’Assemblée nationale : Akon’ny Antenimierampirenena paraît régulièrement depuis cette législature ; ce qui n’a pas toujours été le cas auparavant.
Toutes nos activités sont guidées par le Plan Stratégique du Développement de l’Assemblée nationale 2020-2025 (PSD AN) dans lequel sont mentionnés les 7 objectifs stratégiques ainsi que les voies et moyens de les atteindre d’ici la fin du mandat en 2024. Ce Plan stratégique profite également au Gouvernement dans la mesure où en l’appliquant dans sa sphère de compétence, il aide le Gouvernement à mieux relever les défis indiqués dans le Plan Emergence Madagascar (PEM).
Nous excellons également sur le plan international depuis la présente législature, nous participons dans la mesure de nos moyens à toutes les réunions statutaires des organisations interparlementaires dans lesquelles nous sommes membres. Moi-même, je fais partie du Bureau de l’APF depuis la Session de Kigali en juillet dernier. L’un de nos Députés occupe actuellement le poste de Vice-Président du Forum parlementaire de la SADC, d’autres y sont Présidentes ou Vice-Présidentes des Commissions permanentes. Notre Assemblée est également bien présente à toutes les Sessions du Parlement Panafricain qui siège à Midrand en Afrique du Sud.
Une jeune cadre de notre administration a reçu le Prix Geoffrey Dieudonné 2021-2022 qui récompense le meilleur jeune fonctionnaire parlementaire francophone chaque année. Nous en sommes très fiers.
Autant d’innovations et réformes que nous comptons pérenniser au niveau de l’Institution législative à Madagascar.
Cependant, beaucoup de chemin reste encore à parcourir. Nous constatons par exemple le décalage encore palpable entre certaines dispositions de nos textes et nos pratiques dans l’organisation de nos travaux.
Nous avons encore beaucoup de chantiers à relever comme l’élaboration d’un Code d’éthique et de déontologie qui figure déjà dans notre Règlement Intérieur mais jusqu’à présent, nous avons encore eu du mal à trouver un texte de consensus sur cette matière. L’infrastructure reste un défi permanent car le bâtiment actuel de l’Assemblée nationale qui date de l’époque coloniale est devenue trop exigu et mérite d’être remplacé en conséquence.
RPP – Quelles sont vos relations avec les autres Parlements de l’océan Indien ? Et avec le Parlement français ?
Christine Razanamahasoa – Nous avons toujours été proches les uns des autres surtout à l’occasion des différentes réunions statutaires des Organisations interparlementaires comme l’Union InterParlementaire(UIP), l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie (APF), le Forum Parlementaire de la SADC, l’Association des Parlements de l’Océan Indien (AP COI) qui était en veilleuse depuis sa création en 2016 et actuellement en pleine redynamisation. Nous prévoyons de réunir à Antananarivo le jeudi 10 novembre 2022 nos Collègues Présidents de l’Assemblée nationale de Maurice, des Seychelles et des Comores. Une réunion du Comité exécutif dans lequel siège trois Députés de chaque pays membre se penchera par la suite sur la mise en place de tous les organes de l’AP COI et se chargera de définir ses activités dans les années à venir.
Notre relation avec l’Assemblée nationale française est au beau fixe, non seulement dans le cadre multilatéral, c’est-à-dire à travers les actions de l’Assemblée nationale française au sein de l’APF par exemple, mais aussi sur le plan bilatéral notamment à travers les groupes d’amitié parlementaires de nos deux chambres.
Le Secrétaire général de notre Assemblée nationale était au début de cette année, au mois de février, en stage d’échange au sein de l’Assemblée nationale française et aussi du Sénat français. Des hauts fonctionnaires de l’Assemblée nationale française forment régulièrement nos cadres administratifs dans le cadre de l’ENA/CISAP à Paris, l’actuel Institut National des Services Publics (INSP). L’un de nos cadres partira bientôt le 11 novembre 2022 pour participer à cette formation de deux semaines à Paris.
RPP – La relation Assemblée nationale/Sénat est-elle aujourd’hui optimale ? Comment envisagez-vous la relation avec le Sénat ?
Christine Razanamahasoa – La relation entre l’Assemblée nationale et le Sénat s’inscrit dans le cadre constitutionnel et règlementaire, c’est-à-dire régie par la Constitution et le Règlement intérieur de chacune de nos deux chambres. C’est une relation d’amitié et de collaboration dans la mesure où la majorité politique est la même à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. C’est une relation de respect mutuel dans le cadre d’un objectif commun, le développement socio-économique du pays. J’échange souvent avec mon collègue du Sénat pour mieux organiser nos travaux qui sont complémentaires.
RPP – La préoccupation environnementale est l’une de vos priorités. Quel est le bilan de la législature dans ce domaine ?
Christine Razanamahasoa – Nous avons ratifié la plupart des Conventions internationales relatives à l’environnement. Je citerai entre autres la loi n°2016-027 autorisant l’adhésion de Madagascar à la Convention de 1994 sur la sureté nucléaire et la loi n°2016-019 autorisant la ratification de l’Accord de Paris de la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. Nous participons aux différentes COP au niveau parlementaire dans le cadre de l’organisation de l’Union InterParlementaire. Chaque année, l’Assemblée nationale effectue des reboisements, ses membres sont actifs dans les actions d’information et de sensibilisation contre le feu de brousse et autres fléaux environnementaux auxquels notre pays est confronté.
L’Assemblée nationale est fortement préoccupée par le changement climatique et ne cesse d’oeuvrer à tous les niveaux afin d’y faire face.
RPP – Que pouvez-vous dire de la place des femmes en politique et au Parlement au regard de la société malgache ? Quels sont vos grands défis dans ce domaine ?
Christine Razanamahasoa – Il faut d’abord reconnaitre que la femme malgache n’est pas plus déshéritée par rapport à ses sœurs d’autres pays en ce qui concerne ses droits à l’émancipation. Nous avons des femmes pratiquement dans toutes les institutions politiques et dans la haute administration qui y siègent selon leur qualification mais non en tant que femmes.
Néanmoins, les femmes restent sous représentées par rapport aux hommes notamment dans les postes de décisions. Nous travaillons d’arrache-pied pour corriger cette situation. Madagascar est parmi les Etats parties à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes depuis 1989. La ratification du Protocole de Maputo qui est la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatifs aux droits de la femme en Afrique demeure dans ce sens un instrument juridique progressiste qui confère beaucoup de droits aux femmes et filles africaines. Compte tenu de notre culture religieuse et chrétienne, nous sommes cependant confrontés à la problématique posée par son article 14.
Sous l’impulsion de Madame l’épouse de Son Excellence Monsieur le Président de la République, nous avons adopté un texte de loi en vue de la mise en place d’une stratégie nationale contre les Violences Basées sur le Genre (VBG).
Le grand défi est l’élaboration d’une loi prônant l’égalité homme-femme et de la mettre en application de manière effective.
Du chemin reste à parcourir car le nombre de femmes Députés est de 17 %, 11 % au Sénat, 37 % au Gouvernement, 9 % au sein des Gouvernorats, 5 % des Maires et 7 % des Conseillers municipaux.
Christine Razanamahasoa
Présidente de l’Assemblée nationale malgache
Propos recueillis par Arnaud Benedetti
